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Newsletter, n° 8, « Philippe Ariès et la Nouvelle Histoire »

dimanche 12 février 2017, par Guillaume Gros

Site dédié à Philippe Ariès, Newsletter, n° 8, 2017.

« Philippe Ariès et la Nouvelle Histoire »

Face à l’élargissement des territoires de l’histoire au début des années soixante-dix, les historiens éprouvent le besoin de réfléchir à leurs pratiques et à leurs méthodes dans le sillage tracé par les Annales. Le médiéviste Jacques Le Goff, héritier de Fernand Braudel à l’École des hautes études en sciences sociales, contribue à impulser une dynamique éditoriale. Elle démarre notamment en 1974, avec la publication avec Pierre Nora de Faire de l’histoire qui vise à faire connaître les objectifs de l’histoire nouvelle.
Philippe Ariès qualifié de « grand pionnier » de l’histoire des mentalités, en 1978, par Jacques Le Goff, est une figure de ce courant historiographique novateur alors très médiatisé qui trouve bientôt un relais dans la revue l’Histoire dont le premier numéro paraît en mai 1978.

« L’Histoire, une passion nouvelle » : table ronde avec Philippe Ariès, M. de Certeau, J. Le Goff, E. Le Roy Ladurie, P. Veyne

Soucieuse de mieux cerner ce phénomène éditorial qu’est alors l’histoire nouvelle, la revue Magazine Littéraire lui consacre un dossier spécial, de 25 pages, en avril 1977 dont une très substantielle et passionnante table ronde rassemblant ses historiens les plus emblématiques : Philippe Ariès, Michel de Certeau, Jacques Le Goff, Emmanuel Le Roy Ladurie et Paul Veyne. Parmi de nombreux sujets, les animateurs de cette table ronde abordent notamment les questions liées à la vulgarisation du savoir scientifique dans un contexte de démocratisation de l’édition : « Nous voudrions donc essayer de faire avec vous, qui représentez diversement cette nouvelle Histoire, le point sur ce problème. Pourquoi cette passion, aujourd’hui, pour l’Histoire ? Que devient l’Histoire, dans cette expansion où elle semble courir le risque de perdre sa spécificité, si elle en possède une ? Comment ressentez-vous ce phénomène, à ces différents nouveaux : théorique, pratique, institutionnel ? »

"Georges Duby : l’histoire, un divertissement, un moyen d’évasion, un moyen de formation" (Magazine littéraire)

Absent de la table ronde organisée par le Magazine littéraire, Georges Duby y contribue via cet article publié dans ce même numéro : « Pour ma part j’ai voulu, davantage peut-être dans le sillage de Lucien Febvre que dans celui de Marc Bloch, revenir aux sources narratives et les lire d’une autre manière. L’histoire positiviste, fondamentalement événementielle, les avait interrogées de manière presque policière, dans le vain espoir d’atteindre à la réalité des faits. Or, c’est moins la réalité des faits qui m’intéresse que la manière dont les témoins, les auteurs de ces grands textes narratifs, ont pris conscience des faits qu’ils relatent. Je situe mon observation à un niveau qui est celui de l’imaginaire collectif. »
Auteur d’une œuvre importante dont le célèbre Dimanche de Bouvines, professeur au Collège de France, historien de l’art, également vulgarisateur à la télévision et à la radio, Georges Duby (1919-1985) est un médiéviste éclectique. Influencé par le structuralisme, promoteur d’une histoire des mentalités, il incarne alors une « histoire rajeunie ».

Jacques Le Goff, "Une science en marche, une science dans l’enfance", La Nouvelle Histoire, Retz-CEPL, 1978

Les acteurs de la Nouvelle histoire s’efforcent alors de clarifier leur projet. En complément de l’ouvrage collectif Faire de l’histoire, Jacques Le Goff, épaulé par Roger Chartier et Jacques Revel, dirige un dictionnaire consacré à la Nouvelle histoire et publié en 1978 : " Il se veut, [...], une nouvelle action, une nouvelle étape pour la défense et l’illustration de l’histoire nouvelle qui est en passe de devenir un des phénomènes importants de la vie scientifique et intellectuelle et de la psychologie collective du second XXe siècle." [1]

Philippe Ariès, « L’Histoire des mentalités »

Contributeur de ce dictionnaire consacré à la Nouvelle Histoire, Philippe Ariès y rédige l’article intitulé « L’Histoire des mentalités ». En effet, depuis 1948 et la publication de son Histoire des populations françaises et de leurs attitudes devant la vie et la mort depuis le XVIIIe siècle, il laboure en pionnier ce que l’on n’appelle pas encore l’histoire des mentalités. Philippe Ariès insiste sur la découverte capitale que fut dans sa démarche la démographie comme révélateur des mentalités : « C’est une aventure que j’ai vécue personnellement. Dans les années 1940, j’avais été aussi attiré par la démographie, non pas par le biais de l’économie, mais parce que j’étais frappé par la situation démographique de la France du premier XXe siècle et par ses différences avec celle de la France d’Ancien Régime. Comment interpréter un changement aussi considérable, et qui n’avait pas eu la même chronologie en Angleterre, par exemple ? Évidemment, dès le départ de ma recherche, à la différence des historiens de l’économie, je m’intéressai moins à la démographie proprement dite, à ses mécanismes, ou encore à ses effets politiques et sociaux, qu’aux attitudes psychologiques secrètes qu’elle révélait à qui savait lire ses statistiques. »

Jacques Le Goff, une figure majeure de la Nouvelle histoire

Médiéviste de renommée internationale, Jacques Le Goff est un spécialiste du Moyen Age qui tout en renouvelant les objets et les démarches de sa discipline a su vulgariser son savoir et toucher un public toujours plus large à l’image des "Lundis de l’histoire" qu’il anima sur "France Culture". Parmi ses nombreuses publications on peut citer, en 1964, La Civilisation de l’Occident médiéval (Arthaud) puis, en 1981, La Naissance du purgatoire (Gallimard) ou encore, en 1996, son Saint Louis (Gallimard). Figure médiatisée de la "Nouvelle histoire", il s’est livré, en 1996 dans des entretiens avec Marc Heurgon, Une vie pour l’histoire, (La Découverte).

Philippe Ariès et Jacques Le Goff à « Apostrophes » en 1978

Histoire médiatisée, la Nouvelle Histoire s’invite aussi bien dans la presse grand public comme la revue Magazine Littéraire qu’à la télévision où ses historiens vedettes sont très recherchés notamment dans l’émission phare de la fin des années soixante-dix et des années quatre-vingt qu’est « Apostrophes » (Antenne, 2). Philippe Ariès et Jacques Le Goff y sont invités ensemble avec Michel Mollat au mois de mars 1978 dans le cadre d’une émission consacrée à la vie et à la mort au Moyen Age. Philippe Ariès y évoque L’homme devant la mort, Jacques Le Goff, Pour un autre Moyen Age et enfin Michel Mollat, Les pauvres au Moyen Age.

VARIA

Une réédition d’un texte de P. Ariès « Sant-Pierre ou la douceur de vivre » (1981)

Cette contribution de Philippe Ariès constitue l’introduction au volume du géographe Charles Daney Catastrophe à la Martinique consacré à l’éruption de 1902. Originaire de la Martinique, petit-fils d’un président de la Chambre de commerce de Saint-Pierre, Philippe Ariès évoque l’éruption de 1902 et son souvenir à partir de son expérience familiale. Réédité par Roger Chartier, en 1993, dans Essais de mémoire (Seuil), le texte de P. Ariès fait l’objet d’une nouvelle édition commentée aux Publications de la Sorbonne (Paris I, Panthéon-Sorbonne) dans la collection "Tirés à part" dirigée par Philippe Artières qui invite à lire ou relire des textes de sciences sociales publiés au XXe siècle : « Ariès se livre là, en écrivant ce petit texte, à quatre gestes inédits à l’époque et aujourd’hui encore rarement aussi remarquablement articulés. Il parle de lui, il parle du camp de l’ennemi, il mobilise des sources négligées et enfin met en lumière un phénomène refoulé. […] L’auteur, par ces quatre gestes, restitue une histoire complexe et propose en somme, par l’analyse de cette catastrophe, une remarquable esquisse d’une étude de ce qu’était une partie de la société martiniquaise dominante au début du XXe siècle ».

Guillaume Gros,

Responsable du site dédié à Philippe Ariès,

Chercheur FRAMESPA, Toulouse 2,

Pour citer cette Newsletter : « G. Gros, Newsletter, 8, “Philippe Ariès et la Nouvelle Histoire”, Site dédié à Philippe Ariès, http://philippe-aries.histoweb.net, 2017 ».


[1[1] Jacques Le Goff, "Une science en marche, une science dans l’enfance", 1978.