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La mort, Pierre Chaunu et Philippe Aries

Pierre Chaunu, Le Figaro, 26 février 1986

jeudi 10 juillet 2008, par Guillaume Gros

Né en 1923, membre de l’Institut, professeur émérite à la Sorbonne, Pierre Chaunu est l’auteur d’une oeuvre très importante.

 Dans cet ouvrage d’entretien avec l’historien François Dosse (1994), Pierre Chaunu évoquait son itinéraire personnel et celui de l’historien.

Après son vaste chantier sur Séville et l’Atlantique, Pierre Chaunu oriente ses travaux vers l’étude de la mort, à partir de 1971, en s’intéressant aux testaments parisiens :

« Il y a dans ce domaine quelqu’un que j’ai découvert progressivement, c’est Philippe Ariès, “contemporain capital”, très important, très original, et homme d’une grande sensibilité. » (L’Instant éclaté, p. 241)

 En 1984, à la mort de Philippe Ariès, Pierre Chaunu a rédigé un très bel hommage intitulé "Sur le chemin de Philippe Ariès, historien de la mort", dans la revue Histoire, économie et société .


 Deux ans plus tard, Pierre Chaunu, reprend une partie de cet hommage dans un article du Figaro intitulé « Un “historien du dimanche” : Philippe Ariès », (26 février 1986). A l’occasion de la réédition du Temps de l’histoire , au Seuil, il revient sur la trajectoire de Philippe Ariès en insistant sur « l’inclassable » et sur la singularité d’une oeuvre qui s’est construite, pour l’essentiel, en dehors de l’université.

Extrait de l’article de P. Chaunu dans le Figaro

Le temps d’une autre histoire est sans doute venu. Les éditions du Seuil nous en fournissent la preuve. On ne saurait trop féliciter Roger Chartier de nous procurer ce quasi-inédit du plus grand de nos historiens du dimanche. Qui connaît autrement que par oui-dire ce Temps de l’histoire tel que Philippe Ariès (1914-1984) l’avait conçu ? Ecrits de 1946 à 1950, ces textes furent édités en 1954.

[…]

Qui pouvait comprendre avant la guerre d’Algérie ce non-universitaire, cet inclassable – professionnellement il dirige le Centre de documentation de l’institut de recherches sur les fruits et les agrumes tropicaux, où il saisit dix ans avant tout le monde l’intérêt pour la gestion de l’information, de l’alors tout jeune ordinateur -, ce solitaire chaleureux et convivial, cet homme d’un seul amour (il n’a pas survécu à la mort de Primerose, l’épouse à qui ces pages avaient été dédiées) qui connut dans les dernières années de sa vie un commencement de succès ? Historien de la vie, du for intérieur et de la vie devant la mort surtout, Philippe Ariès n’aura pas connu le purgatoire des écrivains. Sa notoriété commençait à peine de son vivant, la rumeur qui porte sa pensée gonfle de jour en jour.

Il y a tout déjà dans ces huit textes « donnés à la suite sans introduction ni conclusion comme si leur cohérence et leur continuité disaient d’elles-mêmes les propos de l’ouvrage » (p. 12). Pour bien comprendre, ouvrez l’ Historien du dimanche . Il nous livre le secret d’une déchirure qui est à l’origine d’une étrange et ô combien fructueuse aventure intellectuelle. C’est la mort de Jacques, frère de Philippe, dans les rangs de l’armée De Lattre, ô dérision, mort exceptionnellement inutile, le 23 avril 1945, d’une guerre achevée et qui par habitude continue de tuer. La déchirure, c’est la mort du frère dans la conscience à jamais torturée d’un père et d’une mère. Philippe Ariès a expliqué comment il avait compris à la charnière de deux générations combien le visage de la mort avait changé. Et c’est cette expérience enfouie, refoulée, pendant que l’auteur des Traditions sociales dans les pays de France (1943) rédige la très fameuse Histoire des populations françaises et de leurs attitudes devant la vie depuis le XVIlle siècle (Self, 1948, Le Seuil, 1971), c’est cette expérience qui fera d’Ariès l’incomparable auteur de L’Homme devant la mort (Seuil, 1977), ce sommet du plus authentique temps d’une autre histoire et qui commande sans qu’il en fasse l’aveu, et sans doute sans qu’il le sache, la vision de l’histoire de cet insolite recueil.

[...]


Sur l’itinéraire intellectuel et l’oeuvre de Pierre Chaunu, voir la "Notice sur la vie et les travaux de Pierre Chaunu (1923-2009)", par Philippe Levillain lue lors la séance publique de l’Académie des sciences morales et politiques (lundi 18 mars 2013).

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