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Daniel Halévy, "Les vicissitudes de l’histoire"

Un compte rendu du Temps de l’histoire

dimanche 21 janvier 2018, par Guillaume Gros

Daniel Halévy, "Les vicissitudes de l’histoire", J’ai Lu, mai 1954, p. 3-7.
 Au moment de la publication du Temps de l’histoire, en 1954, Philippe Ariès n’est pas un universitaire, ne dépendant d’aucun centre de recherche. Aussi, son livre passe-t-il relativement inaperçu de la communauté universitaire à l’exception notable toutefois de Victor-Louis Tapié, Charles-Henri Pouthas et Yves Renouard. Frédéric Mauro signale, en février 1955, Le Temps de l’histoire dans le Bulletin de l’Université de Toulouse.

Un compte rendu du Temps de l’histoire

 Cela dit, Le Temps de l’histoire fait l’objet de nombreuses recensions dans la presse en général à l’image de celle publiée par la revue de bibliographie, J’ai Lu. Daniel Halévy, dont Philippe Ariès fréquente alors le salon littéraire, y rédige une analyse très pertinente de l’ouvrage quoique l’écrivain ne partage pas complètement l’enthousiasme de son ami pour la "nouvelle histoire". En revanche, il partage avec Philippe Ariès, une interrogation quasi existentielle sur ce que Daniel Halévy nomme alors "l’accélération du temps de l’histoire".

Extraits du compte rendu de D. Halévy

"C’est de ce point de vue que j’apprécierai le livre de Philippe Ariès qui porte un titre difficile : Le Temps de l’Histoire.
Je ne crois pas fausser sa pensée en écrivant que, pour lui, l’Histoire telle que l’ont conçue nos pères, est un genre littéraire qui est périmé. On ne saurait être inattentif à la pensée de Philippe Ariès, qui a publié un des bons livres des dix dernières années : L’Histoire des Populations françaises et qui dirige à la maison Plon une collection de livres d’histoire à laquelle nous devons La Société Militaire de Raoul Girardet et Toulouse au XIXe siècle, de Jean Fourcassié, qui par leurs titres éclairent les intentions du directeur de la série, et par leur contenu montrent la différence qui existe entre l’Histoire telle que la comprenaient nos pères et l’Histoire telle que la comprennent les nouveaux historiens. C’est le tissu qu’il veut qu’on examine, ce sont les mouvements qui se produisent à l’intérieur de ces tissus qu’il veut saisir par tous les moyens de la démographie. Les historiens classiques avaient pour objet l’étude des mouvements politiques, seuls dignes de leurs recherches.
[..]
Nous-mêmes, sommes les témoins et les victimes du deuxième naufrage de l’histoire classique.
Ce naufrage, on pourrait le lier à la catastrophe de la deuxième guerre mondiale. De même que le IVe siècle a vu s’effondrer l’empire romain, chef-d’œuvre de la politique antique, le XXe a vu s’effondrer l’Europe des Princes, chef-d’œuvre de la politique occidentale. Qu’espérer de l’histoire en ces remous ?

Toutes les lois de la paix et de la guerre ont été violées ; les populations, déportées ; l’héritage politique des ancêtres a été dissipé. Vaut il la peine qu’on s’y intéresse ? Une telle explication du présent évanouissement de l’histoire classique ne serait pas inexacte, mais pêcherait par étroitesse. En effet, à travers tout le XIXe siècle, un fort mouvement de la pensée prépare des substituts de l’histoire classique. Ces substituts, Philippe Ariès les étudie en deux chapitres intitulés : "L’Histoire Scientifique" et L’Histoire existentielle, dont il donne en exemple les travaux de Marc Bloch et de Lucien Febvre, C’est à cette même tradition que se rattache l’Histoire des populations Françaises de Philippe Ariès (1948), et sa récente contribution aux "Recherches sur la famille" publiées par l’Institut National de la Démographie. Ces recherches sont d’un intérêt capital ; elles éclairent le mouvement singulier qui, à l’intérieur de l’ensemble de nos sociétés mécanisées, restaure les moins mécanisables des relations humaines, celles qui unissent le groupe conjugal et sa descendance directe.
Leur immense intérêt est hors de question ; nous en avons assez dit pour le faire sentir. Telle est bien la pensée de Philippe Ariès, si l’on en croit la dernière phrase de son livre : « A une civilisation qui élimine les différences, l’homme doit restituer, le sens perdu des particularités. » Par cette phrase un peu énigmatique, Philippe Ariès signifie que la seule réponse efficace que nous puissions donner à la mécanisation moderne de l’organisation sociale, c’est la mise en lumière des réactions organiques qui se produisent dans les fonds de l’histoire.
Est-ce à dire que l’histoire classique, que d’autres appellent l’histoire événementielle, ait perdu son intérêt ? A cette demande nous opposerons l’expérience d’Albert Thibaudet que nous avons donnée plus haut.
Les nouveaux historiens ont découvert la valeur de l’inconscient dans l’histoire. C’est une belle découverte, mais la volonté de l’homme dans l’histoire n’en est pas dévaluée."
Fin de l’extrait.