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"Les méditations de D. Halévy sur l’histoire"

lundi 7 juillet 2008, par Guillaume Gros

Philippe Ariès, Revue française de l’Elite, n° 10, 25 juillet 1948. Texte repris dans P. Ariès, Pages retrouvées, Le Cerf, 2020.

 Dans cet article, P. Ariès rend compte de l’Essai sur l’accélération de l’Histoire de son ami Daniel Halévy paru en 1948 chez Self qui était aussi le premier éditeur de l’Histoire des populations françaises.
 Cette note de lecture de Revue française de l’Elite permet de voir comment travaillait l’historien Philippe Ariès. Les réflexions qu’il livre ici ont nourri des chapitres du Temps de l’Histoire qu’il rédige entre 1946 et 1951.
 L’essayiste Daniel Halévy (1872-1962) est avec le philosophe Gabriel Marcel l’une des personnalités qui a le plus marqué Philippe Ariès.

Début de l’article

« “Alexandre ne croyait pas travailler pour ses capitaines, ni ruiner sa maison par ses conquêtes. Quand Brutus inspirait au peuple romain un amour immense de la liberté, il ne songeait pas qu’il jetait dans les esprits le principe de cette licence effrénée par laquelle la tyrannie qu’il voulait détruire devait être un jour rétablie plus dure que sous les Tarquins ; quand les Césars flattaient les soldats, ils n’avaient pas dessein de donner des maîtres à leurs successeurs et à l’Empire. En un mot, il n’y a point de puissance humaine qui ne serve malgré elle à d’autres desseins que les siens !” C’est sur ces réflexions que Bossuet terminait son Discours sur l’histoire universelle. Il lui importait de souligner dans la série des événements une causalité qui échappait à la volonté et à la connais- sauce des principaux acteurs de ces événements. A l’aveuglement des desseins humains, il opposait « la suite réglée » du déroulement de l’histoire.

Il est utile d’avoir présents à la mémoire les principes de Bossuet, quand on lit l’admirable Essai sur l’accélération de l’Histoire, où Daniel Halévy a réuni les« Méditations sur l’Histoire universelle » d’un homme de notre temps. Je dis bien : méditations, et non pas discours, comme dans la langue du XVIIe siècle. Et c’est là une première différence. De Bossuet à Halévy, l’Histoire universelle a glissé du genre oratoire à un genre contemplatif. Les siècles n’apparaissent plus dans l’ordre qu’aimaient y retrouver les contemporains de Louis XIV.

Nous ne pouvons plus concevoir, comme Bossuet, « un abrégé où l’on voit comme d’un coup d’œil tout l’ordre des temps ». Le passé ne dévoile que partiellement. Il y a des trous d’ombre, et puis des éclairs, des éclatements. Un homme du XVIIe siècle ne s’arrêterait pas à ces discontinuités de la durée. Elles lui semblaient secondaires. Les méditations de D. Halévy placent au contraire ces discontinuités au centre de l’Histoire universelle.
C’est moins la notion de causalité qui nous importe que celle de la vitesse du temps, de « l’accélération de l’histoire », selon l’expression de D. Halévy. Nous sommes frappés par le fait que les hommes n’ont pas toujours vécu à la même échelle, à la même mesure. D. Halévy, en quelques pages riches de prolongements inexprimés, évoque la masse des longues époques immobiles.
Ecoutons en quels termes d’une majesté où l’on retrouve l’écho moderne des périodes de Bossuet il a fixé le hiératisme de l’Histoire égyptienne : “l’Egypte a commencé l’Histoire, avons-nous dit. Revenons sur ces mots pour en compléter le sens. Elle l’a commencée, cela est vrai, mais, aussitôt après, elle l’a suspendue. L’Histoire est pour nous l’étude des changements, des événements qui surviennent dans les groupes humains. Or la sagesse égyptienne méprise le changement, blâme l’événement, n’estime que le retour des rythmes et des accords parfaits”. »

Fin de l’extrait

Suite de cet article

La suite de cet article est à lire dans P. Ariès, Pages retrouvées , Le Cerf, 2020.

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