Accueil > Travaux et études > Réception de l’œuvre de Philippe Ariès > Les enfants de l’ère Meiji

Les enfants de l’ère Meiji

dimanche 12 juin 2022, par Guillaume Gros

- La Maison de la culture du Japon à Paris, est à l’origine de cette très belle exposition qui s’est déroulée entre le 30 mars et le 21 mai 2022 réunissant principalement des estampes de l’ère Meiji 明治時代, (1868-1912).
 Intitulée précisément « Les enfants de l’ère Meiji. À l’école de la modernité (1868-1912) », elle aborde un sujet original dressant un portrait des enfants japonais qui ont grandi à la fin du XIXe siècle, étape charnière de l’histoire du Japon quand la modernisation et l’ouverture à l’Occident bouleversent le visage du pays : « Environ 140 pièces sont présentées dans le parcours : des “ukiyo-e représentant des enfants”, mais aussi des “ukiyo-e destinés aux enfants” tels que des estampes pédagogiques pour s’instruire, des estampes-jouets pour s’amuser ou encore des estampes de récits pour rêver. La fin de l’exposition propose de découvrir un aspect de l’œuvre du dessinateur et illustrateur de presse français Georges Bigot qui a immortalisé cette époque de grandes mutations. » (dossier de presse de la Maison de la culture du Japon)

Ariès inspirateur de l’exposition


 Les estampes exposées proviennent de deux collections japonaises, l’une originaire du musée Machida City Museum of Graphic Arts et le Kumon Institute of Education qui poursuit depuis 1986 un vaste programme de recherches sur les mœurs et la culture de l’enfance durant l’ère Edo et Meiji dans la lignée de l’Enfant et la vie familiale sous l’Ancien régime : « Inspiré par les travaux de l’historien Philippe Ariès sur l’enfance au Moyen Âge, cet institut a commencé à rassembler et à étudier des objets en 1986 et il en conserve aujourd’hui une vaste collection de 3200 œuvres. » (Dossier de presse de la maison de la culture du Japon)

Apprendre et s’amuser avec les estampes

- Sous l’ère Meiji où l’éducation devient essentielle dans la formation de l’état moderne, les lieux d’apprentissage des enfants connaissent d’importants changements. Dans le sillage des système éducatifs occidentaux, l’enseignement individuel alors dispensé aux enfants japonais dans les petites écoles privées (les terakoya 寺子屋) devient collectif.
 Les estampes aux illustrations instructives et divertissantes sont utilisées comme support pédagogique avec des sujets très variés : de la flore, aux drapeaux du monde entier, en passant par les vies d’Occidentaux célèbres. Support pédagogique, les estampes permettent aussi de s’amuser véritables « images-jouets », comme les sugoroku 双六 , une sorte de jeu de l’oie.
 Quatre artistes en particulier sont à l’honneur qui proposent autant de regards singuliers sur l’enfance. Yôshû Chikanobu (1838-1912) 豊原 周延, Ogata Gekkô (1859-1920) 尾形月耕, Miyagawa Shuntei (1873-1914) 宮川 春汀 et Yamamoto Shôun (1870-1965) 山本 昇雲, sont réputés pour leurs représentations de scènes de la vie quotidienne d’enfants à partir de la gravure sur bois.
 Cette exposition a donné un lieu à un catalogue extrêmement riche qui permet de mieux comprendre la singularité de l’enfance à cette époque charnière (cf. ci-dessus, coédité par les Éditions Gourcuff Gradenigo et la MCJP, 192 pages.)

L’enfant et la vie familiale traduit en japonais

- Cette singularité de l’enfance sous l’ère Meiji, qui tend à devenir un objet d’étude autonome, est comparable, selon Aline Henninger à la lecture de Philippe Ariès pour le monde occidental :
« L’ethnologue Iijima Yoshiharu, lorsqu’il explique les prémisses des études folkloriques sur l’enfance, compare ce passage à la modernité japonaise à celui qui aboutit à la modernité française et son changement de regard sur l’enfance que Philippe Ariès analyse dans L’enfant et la vie familiale sous l’Ancien Régime » (« Les études sur l’enfance (kodomogaku子ども学) au Japon », juillet 2015)).
 Dans ce même article sur les études sur l’enfance au Japon, Aline Henninger évoque le rôle pionnier de la traduction de l’Enfant et la vie familiale en japonais :
« Les années 1980 marquent la progression des recherches sur l’enfance (kodomogaku). Les chercheurs issus de différentes disciplines poursuivent ainsi l’exploration de l’enfance et l’enfant dans leurs aspects les plus divers. Chez les historiens, L’enfant et la vie familiale dans l’ancien Régime, traduit en 1962 en anglais, devient une référence une fois la traduction japonaise établie en 19808 et contribue à dénaturaliser la catégorie “enfant” ».
 Sugiyama Mitsunobu et sa femme Emiko, les traducteurs de l’Enfant et la vie familiale sous l’Ancien Régime (cf. ci-contre), ont un véritable « coup de foudre » pour l’historien après avoir assisté à la fin des années 1970 au séminaire qu’il dirige alors à l’EHESS.
Cette traduction de 1980 a connu depuis plus de 20 éditions au Japon où le livre d’Ariès est devenu un ouvrage classique dans le domaine des études de l’enfance, à l’origine de ce que nous avons appelé, un véritable modèle interprétatif de l’enfance toujours opérationnel aujourd’hui (G. Gros, Histoire de l’éducation, 2010).