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Jacques Le Goff, Une vie pour l’histoire (1924-2014)

samedi 7 janvier 2017, par Guillaume Gros


 Médiéviste de renommée internationale, Jacques Le Goff est un spécialiste du Moyen Age qui tout en renouvelant les objets et les démarches de sa discipline a su vulgariser son savoir et toucher un public toujours plus large à l’image des "Lundis de l’histoire" qu’il anima sur "France Culture" ou lors de ses apparitions à la télévision dans l’émission "Apostrophes".
 Parmi ses nombreuses publications on peut notamment citer son premier grand ouvrage, en 1964, La Civilisation de l’Occident médiéval (Arthaud) puis, en 1981, La Naissance du purgatoire (Gallimard) ou encore, en 1996, son Saint Louis (Gallimard) "une tentative de biographie totale". Il a également dirigé avec Jean-Claude Schmitt chez Fayard un Dictionnaire raisonné de l’Occident médiéval (1999).
 Figure médiatisée de la "Nouvelle histoire", il s’est livré, en 1987, dans les Essais d’ego-histoire de Pierre Nora puis en 1996 dans des entretiens avec Marc Heurgon, Une vie pour l’histoire (La Découverte).
 Sur le plan historiographique, il a publié avec Pierre Nora l’ouvrage collectif, Faire de l’histoire (1974) puis dirigé un dictionnaire sur La Nouvelle histoire (1978) dont il définit le projet dans une préface intitulée "Une science en marche, une science dans l’enfance".

Jacques le Goff et Philippe Ariès

 Evoquant sa vocation d’historien pour l’histoire médiévale dans sa contribution aux Essais d’ego-histoire de Pierre Nora, Jacques le Goff explique sa fascination pour l’histoire du baptême, du mariage et de la mort : "D’où la façon dont me toucha – par le thème et par la méthode – Philippe Ariès à la première lecture de son œuvre."
 Les deux historiens s’étaient d’ailleurs retrouvés sur le plateau d’"Apostrophes", en 1978, pour une émission intitulée "Vivre et mourir au Moyen Age" ; Philippe Ariès afin d’évoquer l’Homme devant la mort et Jacques Le Goff afin de présenter Pour un autre Moyen Age.
 Cette même année, dans sa préface à son dictionnaire sur La Nouvelle histoire, Jacques Le Goff qualifiait Philippe Ariès – contributeur du dictionnaire - de "grand pionnier" de l’histoire des mentalités.

"L’appétit de l’histoire"


 Toujours, dans sa très belle contribution aux Essais d’ego-histoire de Pierre Nora, Jacques Le Goff raconte sa fascination pour sa ville des origines : "Toulon des années trente ! Ville de l’enfance avec les fantasmes de toute enfance, mais aussi, dans la longue durée, le Midi, la Provence, la Méditerranée et, dans ce temps où se télescopent l’agonie d’une époque et la gestion d’une tragédie, l’emballement des événements d’où allait sortir le cataclysme de 1939-1945. J’ai vécu Toulon à l’apogée fiévreux de l’Empire colonial et du colonialisme. Quel lieu, quel temps furent plus propices à l’observation de cette grandeur à la veille de sa chute ?" [p. 194]

 Issu d’une famille qui a profité de l’ascenseur social de la IIIe République, Jacques Le Goff a été marqué aussi bien par l’école primaire que plus tard, par le secondaire, en quatrième où son professeur d’histoire, Henri Michel (historien de la Seconde Guerre mondiale) lui révèle le goût de l’histoire : "Il nous parlait du Moyen Age – le programme d’histoire de quatrième – avec un mélange rare de talent pour recréer, de don de la vie et de rigueur technique. C’est à son contact que j’ai compris pour la première fois ce que c’était que les documents et les règles strictes qu’impose leur usage et que plutôt que raconter l’histoire doit expliquer." [Essais d’Ego-histoire]

 Après le bac, il étudie en hypokhâgne au lycée de Marseille sous l’Occupation puis intègre Louis-le-Grand après la guerre, voie royale vers l’École normale supérieure.

 Après l’agrégation d’histoire, Le Goff se cherche et passe par Oxford, l’École française de Rome puis Lille grâce à la complicité de Michel Mollat avant d’entrer à la VIe section des Hautes études où Fernand Braudel lui accorde sa confiance. Maître assistant en 1960 puis directeur d’études deux ans plus tard, l’historien qui chapeaute également les Annales avec E. Le Roy Ladurie et Marc Ferro, prend la présidence (1972-1977) de ce qui devient bientôt l’École des hautes études en sciences sociales où il incarne cette "nouvelle histoire" très médiatisée dans les années soixante-dix et quatre-vingt.

De Prague à la Pologne : un Européen de conviction

 Alors que Jacques Le Goff cherche encore sa voie après la guerre, on lui propose de travailler sur l’histoire tchécoslovaque ce qui se traduit par un premier voyage en 1946 à Prague suivi d’un deuxième en 1948, l’année du "Coup de Prague". Confronté à l’histoire en marche, il rentre de Prague "vacciné", selon ses propres termes, contre la tentation communiste : "[...] j’ai été délivré d’une certaine fièvre politique qui m’a permis de m’engager plus à fond dans ma formation d’historien".


 Après la Tchécoslovaquie, Jacques Le Goff, dans le cadre de ses fonctions aux Hautes études, noue un partenariat avec la Pologne devenant notamment l’intime de Bronislaw Geremek.
 Ces ouvertures successives et son "appétit de l’histoire" pour le Moyen Age contribuent à façonner l’européen qu’il est devenu au fil du temps : "Ma conviction européenne est une conviction d’historien." Une conviction à l’origine d’un travail d’explication très pédagogique y compris pour les enfants dans L’Europe expliquée aux jeunes (Seuil, 2007).

L’héritage et la postérité de J. Le Goff

Une autre histoire, Jacques Le Goff (1 924-2014), Jacques Revel, Jean-Claude Schmitt sous la dir., Éditions EHESS, 2015, coll. "Cas de figure".

Texte de 4e de couverture

« Jacques Le Goff (1924-2014) a été l’un des très grands historiens de son temps. Il a été l’auteur d’une œuvre immense, consacrée pour l’essentiel à l’histoire du Moyen Âge, qu’il a renouvelée en profondeur. Cet ouvrage en explore les ambitions, les objets et les démarches. Il réunit les contributions présentées à l’occasion d’une journée d’hommage organisée en janvier 2015 par l’École des hautes études en sciences sociales et par la Bibliothèque nationale de France. Aux très nombreux lecteurs de Jacques Le Goff, mais aussi à ses collègues et à leurs étudiants, il permettra de situer l’œuvre dans le « moment » intellectuel et scientifique des années 1960-1990, de prendre la mesure de son rayonnement international et de rappeler la présence de l’homme public : un homme toujours soucieux de faire connaître les résultats de la recherche à un public élargi, passionné par les médias, mais aussi un citoyen engagé pour les libertés et un défenseur passionné de l’Europe en construction. »

Contributeurs de l’ouvrage

Étienne Anheim, MarcAugé, Christine Bonnefoy, Alain Boureau, André Burguière, Carla Casagrande, Patrick Geary, Aurélien Gros, Pierre-Cyrille Hautcœur, Édith Heurgon, Gabor Klaniczay, Christiane Klapisch-Zuber, Pierre Monnet, Pierre Nora, Michel Pastoureau, Michelle Perrot, Guitta Pessis- Pasternak, Sylvain Piron, Krzysztof Pomian, Jurek Pysiak, Bruno Racine, Jacques Revel, Daniela Romagnoli, Jean- Claude Schmitt, Alain Touraine, Silvana Vecchio.