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Jacques Revel

lundi 29 octobre 2018, par Guillaume Gros

Jacques Revel, Un moment, des histoires, éditions de l’EHESS, 2018, 160 p.

Jacques Revel, une figure des Annales

 Directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) dont il a été aussi le président entre 1995 et 2004, Jacques Revel est intimement lié sur le plan institutionnel à l’aventure de la revue des Annales depuis 1975. Il incarne ainsi une figure importante de cette « nouvelle histoire » sur laquelle il a d’ailleurs co-rédigé, en 1978, avec Jacques Le Goff et Roger Chartier un livre manifeste, auquel Philippe Ariès a participé.
 Son œuvre foisonnante porte aussi bien sur l’histoire sociale des formes et des pratiques culturelles dans l’Europe d’Ancien Régime que sur les transformations de l’historiographie contemporaine. Il a restitué les grandes étapes de son itinéraire intellectuel et historiographique, en 2006, dans Un parcours critique. Douze exercices d’histoire sociale (Galaade éditions).

Le projet de Jacques Revel

 Dans une collection très riches des éditions de l’Ehess, intitulée « Audiographies », sous titrée « La voix des sciences sociales », Un moment, des histoires , rassemble cinq entretiens radiophoniques proposés par Emmanuel Laurentin dans le cadre de l’émission A Voix Nue, en 2007 qui sont l’occasion, pour Jacques Revel, de revenir, sur son itinéraire à l’aune de la révolution historiographique des Annales : « À partir de mon expérience personnelle, d’une expérience partielle et située donc, de ce que j’espère en avoir compris, je propose ma lecture d’une expérience collective : celle d’une génération d’historiens qui, depuis un demi-siècle, ont vu leur ancien métier se transformer en profondeur. C’est bien d’un moment historiographique que j’ai tenté de rendre compte ainsi que des interrogations et des propositions - des histoires possibles - qu’il a suscitées et qui l’ont éclairé en retour. »

Un moment historiographique particulier selon J. Revel : extrait

 Dans le premier entretien radiophonique intitulé « Quelle histoire », Emmanuel Laurentin rappelle à Jacques Revel à quel point les années soixante dix sont favorables à l’histoire dans l’opinion alors que l’historien est devenu responsable des Annales en 1975 :

« Oui, ce fut une conjoncture exceptionnelle, qui a duré quelques années. Si on voulait lui trouver un précédent dans notre pays, il faudrait peut-être le chercher dans les premières décennies de la IIIe République, dans un tout autre contexte idéologique et politique donc, avec l’histoire citoyenne ou civique à la Lavisse. » p. 55-56
[..]

« Avec un peu d’imagination, on pouvait effectivement solliciter ce passé. Mais il y avait plus que cela, je pense. On était encore dans l’après 1968. La société française profondément modernisée au terme des Trente Glorieuses a été saisie d’une sorte d’inquiétude, de vertige devant les conséquences de ses propres transformations. Mai 1968, c’est aussi cela : un mixte intenable de projection utopique et de rejet des conséquences des temps modernes pour reprendre le titre de Chaplin. Dans la traîne de l’événement, un certain nombre des valeurs, qui étaient traditionnellement celles de la droite conservatrice depuis le XIXe siècle, ont été réinventées par la gauche et par une partie de l’extrême gauche : les structures organiques de la société, la famille, les communautés de résidence, la ruralité, l’écologie, etc. Un autre best-seller de l’année 1975 fut Le cheval d’orgueil, de Pierre-Jakez Hélias. Soit l’exaltation de la Bretagne profonde au lendemain de la Grande Guerre, celle d’un monde qui résistait à l’assimilation. De ces années d’après-Mai, je garde le souvenir d’un moment un peu ambigu, qui m’est resté largement étranger, je dois le reconnaître, mais à l’occasion duquel une part de la société françaises s’est découverte enracinée ou, à défaut, à la recherche de ses racines. Pour en revenir au métier, il ne fait guère de doute que l’histoire telle que la faisaient les historiens des Annales, celle que l’on commençait à placer sous le pavillon de l’anthropologie historique et que proposaient Duby, Le Goff, Ariès, Le Roy Ladurie et un certain nombre d’autres, répondait aussi à cette sensibilité. Les Éditions du Seuil commençaient à publier une Histoire de la France rurale en cinq volumes. Toutes ces initiatives me paraissent s’être inscrites dans la même configuration sensible. Dans ce mouvement - qui les dépassait largement -, les Annales ont certainement trouvé une reconnaissance élargie. Et dont je puis témoigner qu’elle était, pour l’essentiel, inattendue. »

Postface de Christophe Prochasson.