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Qui était Daniel Halévy ?

dimanche 20 juillet 2008, par Guillaume Gros

Compte rendu de Guillaume Gros paru dans Esprits Libres, n° 4, printemps 2001 (pp. 128-130).

Sébastien Laurent, Daniel Halévy, Grasset, 2001, 595 p. Préface de Serge Berstein.

"Daniel Halévy a publié entre 1920 et 1933 dans la célèbre collection des Cahiers verts chez Grasset des auteurs parmi les plus importants de l’entre-deux-guerres dont François Mauriac, Le Baiser au Lépreux et Génitrix, Jean Giraudoux, Siegfried et le Limousin, André Maurois, Ariel ou la vie de Shelley, Tolstoï, Ma vie, récit dicté par un paysan russe mais aussi Paul Morand, André Malraux, Henri de Montherlant ou Paul Chamson. Son salon littéraire, quai de l’Horloge, qu’il tint contre vents et marées jusqu’à sa mort au début des années 1960 quand ce n’était plus que le vestige d’un mode de sociabilité désuet, compta en son âge d’or les grands noms de la littérature du siècle. Or, la postérité n’a pas été très généreuse pour Daniel Halévy, quelque peu écrasé par les notoriétés de Ludovic Halévy et d’Élie Halévy. La biographie de Sébastien Laurent retrace l’itinéraire intellectuel de cet écrivain qui du libéralisme au traditionalisme offre un parcours original.

Fils de l’académicien Ludovic Halévy et frère du philosophe Élie, Daniel appartient au milieu de la haute bourgeoisie parisienne et à une famille orléaniste par toutes ses fibres. Sa vie est tout entière vouée à la culture. Au lycée, il devient l’ami de Marcel Proust. La grande amitié de sa jeunesse fut celle du peintre Degas dont il fréquenta l’atelier. Ses maîtres sont alors Huysmans, Baudelaire, Verlaine ou Mallarmé. Mais le décadentisme du siècle cède la place dans les années 1890 à la découverte du socialisme, celui de Proudhon. Le jeune bourgeois éprouve le besoin de s’aérer. Attiré par les luttes d’un monde ouvrier qui s’organise et faisant fi des barrières sociales pourtant alors très rigides, il s’efforce d’explorer un univers qui lui est étranger, notamment dans les comités d’ouvriers de Seine-et-Oise. Ce grand lecteur de Proudhon se passionne alors pour les Universités populaires. Cette volonté de connaître d’autres mœurs que celles du salonnard parisien l’amène à aller vers le milieu paysan au cours de nombreuses rencontres qui devaient nourrir ses fameuses Visites aux Paysans du Centre où l’écrivain, à mi-chemin entre l’ethnologie et un sociologisme rural, découvre que les campagnes ne sont pas – ou plus – un conservatoire de traditions. Dans une préface à la réédition de cet ouvrage dans une collection de poche (Pluriel, 1977), l’historien Maurice Agulhon remarquait qu’il pouvait se lire comme une annonce et une source du « pétainisme » mais aussi comme un pressentiment d’« écologisme ». Daniel Halévy y diagnostiquait la disparition d’une civilisation rurale.

Après avoir été dreyfusard et avoir participé à l’aventure des Cahiers de la Quinzaine aux côtés de Charles Péguy, Daniel Halévy prend du recul sur cette période de sa vie dans un ouvrage intitulé Apologie pour notre passé (1910), prémices de son évolution vers le traditionalisme. Le temps de la notoriété coïncide avec celui du pouvoir éditorial à la tête des « Cahiers verts » qui lui ont été confiés par Bernard Grasset. Nostalgique d’une civilisation rurale, à la recherche d’un âge d’or, hanté par l’idée de la décadence dans une Europe intellectuelle et cosmopolite qui, à ses yeux, se réduisait comme peau de chagrin, Daniel Halévy entreprend une réflexion historique sur les origines de la IIIe République dans une perspective révisionniste. Il consigne le fruit de ses travaux dans deux essais qui sont sans doute ses livres les plus connus, La Fin des notables et La République des ducs. L’orléaniste devient de plus en plus critique à l’égard du régime républicain et de ses mythes fondateurs comme l’écrit Serge Berstein dans la préface à l’ouvrage de Sébastien Laurent : « Désormais identifié à la droite maurrassienne, il va en suivre l’évolution comme les dérapages.

Coupé des milieux libéraux eux-mêmes qui le considèrent comme un "réactionnaire", isolé de ses anciens amis, il va pousser jusqu’au bout l’engrenage dans lequel il s’est piégé. » Daniel Halévy l’éclectique soutient alors la politique de la Révolution nationale du maréchal Pétain, notamment dans une analyse comparée des trois dernières défaites dans Trois épreuves : 1814, 1871,1940 (1941). C’est le temps de la marginalisation. Pour Sébastien Laurent, si Daniel Halévy continue de recevoir dans son salon des jeunes talents, il s’est coupé de la plupart des cercles des années 1920, quand il régnait sur l’édition. Il évolue désormais au cœur des sociabilités néo-maurrassiennes, autour du jeune agrégé de philosophie Pierre Boutang, un compagnonnage qui le conduisit à chaperonner l’hebdomadaire La Nation française, entreprise de rénovation de la droite traditionaliste au milieu des années 1950. Par ailleurs, il entretient aussi de vieilles amitiés, avec notamment le peintre Joseph Czapski.

« Un auteur paradoxal dont les convictions restent fidèles à une certaine idée de son pays, fixées sur des atouts culturels et des positions élitistes, quitte à courir les dangers de dérive droitière opposée à ses initiatives de jeunesse, tel fut le critique et l’historien. » C’est ainsi que Sébastien Laurent voit Daniel Halévy qui, au-delà des méandres de sa trajectoire, resta fidèle aux pensées de Sorel, Proudhon ou Péguy. Un traditionaliste à la marge, tout comme l’était son salon littéraire après 1945 dans un monde qui méprise l’art de la conversation.

Né en 1872, Daniel Halévy a été particulièrement sensible, au tournant du siècle, à ce qu’il a appelé « l’accélération de l’histoire » dans un ouvrage considéré comme majeur par Philippe Ariès dans Pages retrouvées (Cerf, 2020). D. Halévy contribue ainsi à populariser en France la "catégorie" d’accélération de l’histoire, recoupant chez lui, une forme de critique de la modernité (Christophe Bouton, L’Accélération de l’histoire, Seuil, 2022).
Son cheminement intellectuel du libéralisme au traditionalisme illustre une forme de résistance au temps de l’histoire. Toute une partie de son œuvre est une réflexion sur la nécessaire tradition, mais pas une tradition figée. Son Histoire d’une histoire (1939), écrite pour le troisième cinquantenaire de la Révolution française n’est pas tant une remise en cause de la Révolution que du culte dont elle faisait l’objet sous la IIIe République. De sa culture familiale d’origine, Daniel Halévy avait gardé le sens de la mesure."