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E. Laurentin, A quoi sert l’histoire aujourd’hui ?

Sous la dir. d’E. Laurentin, Bayard, La Fabrique de l’histoire

lundi 30 avril 2012, par Guillaume Gros


  A quoi sert l’histoire aujourd’hui ?, sous la dir. d’Emmanuel LAURENTIN, Bayard, La Fabrique de l’histoire, 2010, 174 p. .

De l’hommage à Guy Môquet au tout début du quinquennat de Nicolas Sarkozy au débat récent sur l’intervention des députés dans la judiciarisation du génocide arménien, l’histoire et les historiens sont régulièrement soumis aux injonctions du présent, ce « présentisme », décrit par François Hartog dans Régimes d’historicité (Seuil, 2003) ou dans Croire en l’histoire (2013) et qui aboutirait à un nouveau rapport au temps.
Ce « présentisme » pousse les « historiens dans la mêlée » pour reprendre les termes de l’essai de Christophe Prochasson intitulé L’Empire des émotions (Demopolis, 2008).

Si les tensions entre l’histoire et le politique ne sont pas nouvelles, il semble que la présidence Sarkozy les a exacerbées avec la volonté de ressusciter un « roman national » selon l’analyse de Nicolas Offenstadt dans L’Histoire Bling-Bling. Le retour du roman national (Stock, 2009). Comment les historiens réagissent-ils face à ces usages politiques du passé ? A l’occasion des dix ans de l’émission de France-Culture, « La fabrique de l’histoire », Emmanuel Laurentin, a demandé à une quarantaine d’historiens, universitaires pour la plupart, de répondre à la question posée dans le titre de l’ouvrage «  A quoi sert l’histoire aujourd’hui ?  ».

 Le producteur de l’émission a le sentiment que les historiens ont le « blues » et qu’ils regrettent un temps où l’histoire et les historiens tenaient le haut du pavé. C’est le sentiment qu’il éprouve en discutant avec eux après une émission : « Les nominations académiques, les querelles d’école, les usages politiques du passé occupent finalement moins de temps que le triste lamento sur un âge d’or disparu. » En creusant un peu, Emmanuel Laurentin découvre que ce temps révolu ne serait pas si lointain. Une trentaine d’années, quand écrit-il, «  le succès de Montaillou d’Emmanuel Leroy Ladurie et des œuvres de Jacques Le Goff célébraient le mariage réussi de la télévision, de la grande presse et de la « Nouvelle histoire ». Bernard Pivot aimait les historiens et les tirages suivaient. »

Mais depuis une dizaine d’années, constate l’animateur de la Fabrique, l’histoire est sévèrement concurrencée pas d’autres disciplines comme la sociologie ou la géopolitique. D’où l’idée d’une réflexion sur l’usage de l’histoire en faisant appel à ses propres invités.

 Le résultat constitue un précieux état des lieux même si les réponses sont relativement courtes (entre trois et cinq pages) et d’un intérêt très inégal. Peut être qu’un questionnaire aurait permis d’éviter la dimension trop scolaire de certaines communications ? Mais, indiscutablement, l’enquête est intéressante.

Sans surprise, dans le panthéon des principaux historiens cités, on trouve Michelet, Bloch et Febvre, Braudel, Veyne, Marrou ou encore Michel de Certeau. Dans leur grande majorité les historiens consultés pointent l’instrumentalisation politique de l’histoire tout en dénonçant les mises sous tutelle d’une politique mémorielle omniprésente ou encore les historiens qui recourent à « l’histoire pour légitimer des revendications, calmer des souffrances ou mobiliser contre des injustices » (Jean-Clément Martin).

 Toutefois, face à l’instrumentalisation politique, Etienne François tient à rappeler, que les historiens ne sont pas pour autant les «  maîtres d’école de la cité » et qu’ils n’ont pas le monopole de la vérité sur le passé : « Les débats sur le passé sont des débats de nature avant tout politique, qui engagent les citoyens – et là, nous ne sommes que des citoyens parmi d’autres. »

 De son côté, Pap Ndiaye refuse tout à la fois la nostalgie et la morosité qui frappe la profession. Il préconise de s’interroger sur l’écriture de l’histoire afin de renouveler le rapport du public à l’histoire et de le « désinstitutionnaliser », selon ses propres termes : « C’est que, en France, la République et l’histoire ont partie liée depuis la fin du XIXe siècle, contrairement à beaucoup d’autre pays comme les Etats-Unis où la question de la crise de l’histoire ne se pose pas, elle qui n’a jamais été posée sur un tel piédestal politique et intellectuel. »

Christine Bard cite Philippe ARIES

 Christine Bard met en avant une dimension existentielle de l’histoire en expliquant que celle-ci « nous confronte à la mort » si bien que, écrit-elle, beaucoup d’historiens pourraient écrire, comme Philippe Ariès : « Je sentais en moi l’impossibilité, sinon de me résigner au départ des miens, du moins de les abandonner à l’oubli […]. Je ne pouvais cantonner ces pathétiques expériences au fond de ma vie privée. Elles m’amenaient à me poser des questions dans les termes qui m’étaient habituels, c’est-à-dire des termes d’histoire. » [Un Historien du dimanche, 1980].


Ont contribué à cet ouvrage :
Philippe ARTIERES, Christine BARD, Annette BECKER, Patrick BOUCHERON, Raphaëlle BRANCHE, André BURGUIERE, Joëlle BURNOUFF, Christophe CHARLE, Sophie COEURE, Maryline CRIVELLO, Fabrice D’ALMEIDA, Emmanuel DROIT, Arlette FARGE, Mathieu FLONNEAU, Etienne FRANCOIS, Jean-Noël JEANNENEY, Patrick GARCIA, Claude GAUVARD, Sudhir HAZAREESINGH, Isabelle HEULLANT-DONNAT, Jacques LE GOFF, Claire LEMERCIER, Judith LYON-CAEN, Jean-Clément MARTIN, Gabriel Martinez GROS, Jean-Luc Mayaud, Philippe MINARD, Pap Ndiaye, Nicolas Offenstadt, Pascal Ory, Michelle Perrot, Christophe PROCHASSON, Régine ROBIN, Daniel ROCHE, Henry ROUSSO, Bénédicte SAVOY, Claire SOTINEL, Louis-Georges TIN, Sylvie THENAULT, Julie VINCENT, Danièle VOLDMAN, Annette WIEVIORKA, Claire ZALC