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Colin Ward, L’enfant dans la ville, 1978

mardi 12 décembre 2023, par Guillaume Gros

- Ce classique de Colin Ward, L’enfant dans la ville, a d’abord été publié sous le sous le titre The Child in the city (The Achitectural Press), à Londres, en 1978 ; cf. illustration ci-contre. La version proposée en Français ici, traduite par Léa Nicolas-Teboul, émane de l’association culturelle Eterotopia France (2020, cf. illustration ci-dessous). L’auteur de la préface, Thierry Paquot, philosophe urbain, est notamment l’auteur, en 2015, de La Ville récréative. Enfants joueurs et écoles buissonnières.
 Anarchiste anglais, Colin Ward (1924-2010), a travaillé dans des cabinets d’architectes avant de s’orienter sur le thème de l’éducation à l’environnement. Auteurs entre autres de Housing : Anarchist Approach (1976), The Child in the Country (1988), Sociable Cifles : The Legacy of Ebenezer Howard (avec Peter Hall, 1999), la ville et l’enfant sont ses thèmes de prédilection.
 Pour évoquer le statut de l’enfant, Colin Ward mobilise les œuvres de Margaret Mead, Jean Piaget, Paul Goodman, John Dewey et le modèle interprétatif de l’enfance, issu de l’Enfant et la vie familiale sous l’Ancien régime de Philippe Ariès.
Philippe Ariès, a d’ailleurs décliné, ce thème de l’appropriation de l’espace urbain par les enfants qui en sont progressivement rejetés dans les villes modernes, notamment dans son article disponible en ligne : L’enfant et la rue, de la ville à l’antiville.
Dans cette perspective, Philippe Ariès a d’ailleurs rédigé la préface au livre de référence de Richard Sennett, La Famille contre la ville. Les classes moyennes de Chicago à l’ère industrielle (1872-1890), pour sa traduction française en 1980.

Présentation 4e couverture

« Ce livre explore le lien entre l’enfant et son environnement urbain, en se demandant si quelque chose s’est perdu au sein de cette relation. Y sont envisagés les moyens de rendre les rapports entre la ville et l’enfant plus féconds et plus agréables, autant pour l’enfant que pour la ville. C’est le premier ouvrage entièrement consacré aux enfants des villes et dans les villes. Il débute par l’explication de ce qu’est un « enfant », dans le sillage des réflexions de Margaret Mead, Jean Piaget, Paul Goodman, John Dewey et Philippe Ariès. Il s’intéresse ensuite plus spécifiquement aux jeux des enfants dans les villes, en étudiant, d’une part, les enfants livrés à eux-mêmes à l’intérieur des mégapoles du tiers-monde, et, d’autre part, les enfants des quartiers ouvriers de la Grande-Bretagne, qui trouvent dans les rues leurs territoires d’aventures... En réponse au constat selon lequel les architectes, les urbanistes ainsi que les élus ignorent totalement les enfants, L’enfant dans la ville formule un certain nombre de propositions pour y remédier. De la même manière, regrettant que l’école ne remplisse pas sa mission consistant à favoriser ce lien essentiel entre l’enfant et son milieu, l’ouvrage s’emploie à suggérer des pistes pédagogiques intéressantes pour sortir les enfants, comme l’écrit si bien Colin Ward, du bac à sable ! »

Extrait préface Thierry Paquot

« Son livre sur les enfants dans les villes, que vous allez découvrir, a longtemps été la première synthèse géohistorique disponible en librairie. Certes, depuis plus d’un siècle les enfants ont suscité un grand intérêt des pédagogues, je songe ici à Pestalozzi, Fröbel, Geddes, Decroly, Dewey, Montessori, Ferrer, Freinet... mais aussi de la part des psychologues, dans la lignée de Jean Piaget (1896-1980) que cite et commente Colin Ward, tout en pointant certaines limites de sa théorie des « périodes » dans la chronologie du développement de l’intelligence des enfants. Piaget distingue quatre types d’intelligence selon les âges : l’intelligence sensori-motrice (de la naissance à environ deux ans), la préopératoire (de 2 à 6 ans), l’opératoire (de 6 à 10 ans) et celle qui effectue les « opérations formelles » (de 10 à 16 ans), avec à chaque fois des « stades » différents, qui constituent chacun la base pour le suivant, un peu comme les marches d’un escalier, ce qui a été invalidé en partie par les recherches plus récentes qui insistent sur les interrelations qu’effectue l’enfant et son héritage culturel, sans remettre en cause le schéma général. Puis par des pédiatres et des psychanalystes (dont Donald Winnicott et Françoise Dolto pour ne mentionner que les plus connus) et également des historiens comme Philippe Ariès (1914-1984). Ce dernier publie en 1960, L’Enfant et la vie familiale sous l’Ancien Régime, qui sera traduit en anglais et fortement apprécié tant aux États-Unis qu’en Grande-Bretagne, avant d’être quelque peu contesté. Il est vrai que considérer que l’enfant est une « invention » récente liée à la prise en compte du contrôle des naissances au XVIIIe siècle est réducteur, l’attachement des parents pour leurs enfants se manifeste bel et bien avant et ailleurs, dans d’autres contrées que l’Europe... » (p. 10)

Avant-propos de C. Ward de l’édition de 1978 (extraits)

[...]

« Parallèlement, dans bien des endroits du monde, il serait idiot de décrire une personne de quinze ans comme un enfant. On pourrait employer le mot adolescent pour décrire ces apprentis citoyens entre la puberté et l’âge légal de la majorité qui, dans la dernière décennie, a été ramené sans grands débats dans beaucoup de pays de 21 à 18 ans. Mais l’adolescence n’est-elle qu’une création de la société ? Frank Musgrove, dans un ouvrage mémorable, prétendit que « l’adolescent a été inventé en même temps que la machine à vapeur. Le principal architecte de cette dernière fut James Watt en 1756, celui du premier Rousseau en 1762 ». Aujourd’hui, la condition adolescente et enfantine n’est plus une évidence, l’enfance et l’adolescence sont questionnées en tant que concepts atemporels et universels. Des historiens comme Philippe Ariès et Peter Laslett, dont les travaux sont empreints de sociologie, nous ont fait réfléchir sur le caractère récent de notre intérêt pour l’enfance en tant que telle. « Les enfants sont une invention moderne » remarque un pionnier en ce domaine, Joe Benjamin. « Auparavant, ils n’étaient qu’une partie de la famille ».
La famille est presque toujours plus importante dans le destin d’un enfant que la ville et, lorsqu’ils diagnostiquent les maladies sociales, les moralistes évoquent les fortes répercussions qu’a eues « l’éclatement de la famille » et se lamentent sur la mort de la « famille élargie », mais les historiens sociaux évoquent les taux de mortalité. Une balade à travers n’importe quel vieux cimetière permet de comprendre que, pour ce qui est de détruire les familles, les procédures de divorces n’ont fait que prendre la place du croque-mort et ceci explique largement l’attitude de nos aïeux vis-à-vis de l’enfance. En sélectionnant des preuves partielles, on pourrait montrer que la considération dont jouissait l’enfant dans les sociétés anciennes dépendait du rôle économique qu’il était appelé à jouer, ou on pourrait faire de l’enfant la victime d’une monstrueuse exploitation, ou encore affirmer que l’histoire de l’enfance, comme le fait Lloyd deMause dans le chapitre qui ouvre son livre du même nom, « est un cauchemar dont nous n’avons commencé que récemment à nous réveiller ».
M. deMause conçoit l’histoire de l’éducation des enfants selon six modes différents qui se succèdent, dont le dernier, « l’aide », commence, affirme-t-il, au milieu du vingtième siècle et voit apparaître un enfant « doux, sincère, jamais déprimé, jamais servile ou orienté par un groupe, très volontaire et non intimidé par l’autorité ». Peu d’adultes nieraient qu’en tant qu’individus ils aient choisi d’adopter le mode de l’aide dans leurs relations avec les enfants qui partagent leurs vies et leurs villes, bien qu’ils puissent douter du fait que cela produise comme par enchantement cette combinaison particulière d’attributs. Mais la question que nous posons dans ce livre est de savoir si la ville, en tant qu’institution, adopte le mode de « l’aide » envers ces jeunes citoyens, ou si Paul Goodman avait raison quand il déclarait il y a des années que « la ville, dans les inéluctables conditions modernes, ne peut plus être un objet d’expérience pour les enfants » parce que « la technologie envahissante, la mobilité familiale, la perte du pays natal, des traditions de quartiers et le grignotage des espaces de jeu ont supprimé tout environnement véritable ». »

[...]

Plan du livre

 Préface de Thierry Paquot
 Avant-propos 1978

I) La ville, un chez soi

 Paradis perdu
 L’habitat heureux revisité
 La ville vue par l’enfant
 Antiquaires,explorateurs et néophiles
 Intimité et isolement
 Dérives urbaines
 Un après-midi en banlieue

II) Usages de la ville

 adapter l’environnement subi
 le jeu, protestation et exploration
 la ville des spécialistes
 la circulation et l’enfant
 rouler dans la rue
 la mise en rayon au supermarché

III) Sagesses de la ville

 Filles de l’ombres
 A l’école dans une ville étrangère
 La ville comme ressource
 L’enfant des villes à la campagne
 Quatre projets exemplaires

 Notes et sources

 “Un besoin d’espace. Notes sur l’urbanité ingouvernable de Colin Ward”, Alessio Kolioulis

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