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Newsletter n° 13, Philippe Ariès du privé à l’intime
lundi 27 juin 2022, par
Site dédié à Philippe Ariès, Newsletter, n° 13, 2022
« Philippe Ariès du privé à l’intime »
Philippe Ariès, Pour une histoire de la vie privée
En 1983, Philippe Ariès propose des indices de la privatisation qui constituent la matrice de l’histoire des mentalités ou des sensibilités quand l’homme cherche à mieux se connaître via la littérature de civilité à partir du XVe siècle, par le biais du journal intime, des confessions à l’instar de celles d’un Rousseau, du goût de la solitude, du sentiment de l’amitié, autant de micro-changements qui « concourent à une nouvelle manière de concevoir et d’aménager la vie quotidienne », comme « extériorisation de soi et des valeurs intimes que l’on cultive en soi ». Cette nouvelle conscience de soi s’incarne dans l’aménagement d’espaces nouveaux dans la maison afin d’y renforcer l’intimité : « Le problème est donc de savoir comment on passe d’un type de sociabilité où le privé et le public sont confondus à une sociabilité où le privé est séparé du public et même l’absorbe ou en réduit l’étendue. » Depuis l’Histoire de la vie privée, ces thèmes ont trouvé de larges échos dans tous les secteurs des sciences humaines du privé à l’intime.
Philippe Artières, Une histoire de l’intime
Historien, directeur de recherche au CNRS (IRIS, EHESS), Philippe Artières travaille sur les archives ordinaires.
Il inscrit cette Histoire de l’intime (CNRS, 2022) dans les pas des travaux de P. Ariès sur la mort et sur la vie privée en général : « P. Ariès qui a été l’un des grands artisans de l’histoire de la vie privée, a mené une des premières grandes enquêtes sur la mort en occident sur la longue durée. Ariès consacre des pages très denses à l’analyse du décret du 12 juin 1804 qui constitue à ses yeux un tournant dans le rapport que nous entretenons aux morts ; ce texte marque tout à la fois une ré-appropriation par les proches de leurs morts, mais aussi le moment d’invention de nouvelles pratiques intimes. »
Susan Neiman, Grandir
Philosophe, essayiste de référence aux États-Unis et en Allemagne, Susan Neiman dirige le prestigieux Forum Einstein à Potsdam.
Dans son premier livre traduit en français, Grandir (2021), et sous-titré « Éloge de l’âge adulte à une époque qui nous infantilise », elle critique le jeunisme de nos sociétés qui ne veulent pas d’adultes se demandant si la philosophie peut concrètement nous « aider à trouver un modèle de maturité qui ne soit pas celui de la résignation ? » Pour ce faire, elle emprunte dans une large mesure au modèle interprétatif de l’enfance de Philippe Ariès qui nourrit plusieurs pages du premier chapitre « Fondements historiques » en s’appuyant sur l’Enfant et vie familiale sous l’Ancien régime : « En écrivant, en 1960, son livre séminal, L’Enfant et la vie familiale sous l’Ancien Régime, l’historien pouvait-il imaginer la facilité avec laquelle certains d’entre nous prendraient et partageraient quantités de vidéos de bébés, vidéos qui n’intéresseront jamais que les grands-parents du modèle, sa future fiancée et peut-être quelques chercheurs en sciences sociales ? »
Mémoires d’enfance
Domaine de l’intime et du privé par excellence, l’enfance est explorée dans Mémoires d’enfance (Éditions Midi-Pyrénéennes, 2021). Dans la préface, Sylvie Mouysset et Danièle Tosato-Rigo, qui ont coordonné l’édition, précisent leur projet : « Notre démarche s’inscrit dans l’évolution récente de l’histoire de l’enfance, nourrie des recherches pionnières de Philippe Ariès. Une histoire qui se conçoit aujourd’hui à partir d’archives construites par ses acteurs principaux : enfants, petits et grands, mais également parents, éducateurs et autres professionnels de l’enfance ayant accompagné leurs premières années. Entre invention de soi et réalité intacte de souvenirs enfouis et soudain ressuscités que nous dit le récit d’enfance de nos premiers pas dans la vie ? »
Les enfants de l’ère Meiji
En Asie, le Japon nous propose une autre approche de l’intimité de l’enfance à l’occasion de cette belle exposition à la Maison de la culture du Japon à Paris, (30 mars - 21 mai 2022) réunissant principalement des estampes de l’ère Meiji 明治時代, (1868-1912) qui est aussi à l’origine d’un catalogue.
Intitulée « Les enfants de l’ère Meiji. À l’école de la modernité (1868-1912) », elle aborde un sujet original dressant un portrait des enfants japonais qui ont grandi à la fin du XIXe siècle quand la modernisation et l’ouverture à l’Occident bouleversent le visage du pays. Les estampes exposées proviennent de deux collections japonaises dont l’une le Kumon Institute of Education poursuit un programme de recherches sur les mœurs et la culture de l’enfance durant l’ère Edo et Meiji dans la lignée de l’Enfant et la vie familiale sous l’Ancien régime. Traduit depuis 1980, en japonais, l’Enfant et la vie familiale a connu depuis plus de 20 éditions au Japon où le livre d’Ariès est devenu un classique dans le domaine des études sur l’enfance.
Pour les sciences sociales, 101 livres
De la philosophie à l’anthropologie en passant par la sociologie, l’économie, la démographie, l’histoire, la géographie, défilent tous les grands auteurs mondiaux dont la pensée a marqué son époque bien au-delà de sa discipline. Claude Levi-Strauss, Jürgen Habermas, Hannah Arendt, John Kenneth Galbraith, Reinhart Koselleck, Roland Barthes figurent parmi plus de 100 auteurs retenus dans ce palmarès mondial des sciences humaines dont Philippe Ariès pour l’Enfant et la vie familiale sous l’Ancien régime.
Selon Christiane Klapish-Zuber, Ariès y retrouve le sentiment de l’enfance, thème qui touche autant à l’intime qu’au privé : « L’enfant et la vie familiale sous l’Ancien Régime se place dans ce pan des recherches qui, en France, se sont organisées autour de la famille, entendue comme berceau des renouveaux et déclins démographiques, cellule où se répercutent les aléas de la vie économique, mais aussi creuset de comportements individuels et collectifs. […]. Mais il a livré une interprétation très personnelle des mutations qui ont affecté les populations anciennes, cherchant à mettre en lumière les structures inconscientes qui dictent aux individus leurs comportements. »
VARIA
L’accélération de l’histoire
Si l’idée d’une accélération de l’histoire apparaît au moment des Lumières, puis dans sa dimension politique avec des évènements comme la révolution française et avec le progrès des sciences et des technologies à l’âge industriel et plus récemment avec l’ère numérique, c’est Daniel Halévy qui en popularise l’idée en en faisant le sujet principal de son ouvrage comme le rappelle Christophe Bouton dans son introduction : « Parmi les auteurs qui utilisent l’expression dans le sillage d’Halévy, on trouve des intellectuels et des historiens connus comme Bertrand de Jouvenel, Philippe Ariès et Emmanuel Berl ».
Particulièrement sensible à la question du temps de l’histoire auquel il consacre un essai en 1954, Philippe Ariès a rendu compte de cet ouvrage en 1948 dans la Revue française de l’élite, sous le titre Les méditations de Daniel Halévy sur l’histoire dont des extraits sont disponibles sur le site, et dont l’article est reproduit en intégralité dans Pages retrouvées (Cerf, 2020).
Le phénomène Philippe Ariès selon G. Cuchet
Dans un article des Annales de démographie historique (2020, n° 240), l’historien Guillaume Cuchet revient sur la notoriété médiatique de Philippe Ariès dans le contexte des années 1970-1980 à partir des archives sonores et visuelles de l’INA : « Près de quarante ans après sa mort, on continue de lire, de relire et même d’éditer Philippe Ariès (1914-1984), tant il est vrai qu’il apparaît à distance comme un des grands historiens français du XXe siècle. Michel Foucault, qui l’avait en haute estime, disait qu’il avait été l’initiateur d’un nouveau type d’histoire qu’il qualifiait de “stylistique de l’existence”. »
Pages retrouvées en italien et dans la Revue historique
Publié, en 2020, aux éditions du cerf, le dernier ouvrage de P. Ariès, Pages retrouvées, qui rassemble de nombreux textes de l’historien a fait l’objet d’une traduction en italien. La 2e partie de Pages retrouvées, intitulée “Cheminements” a été traduite par Gabriella Airaldi, sous le titre Interrogare la storia. Pagine ritrovate (Marietti, 2021, 112 pages). Privilégiant l’angle historiographique et le rapport de Philippe Ariès à l’ego-histoire, Gabriella Airaldi a rédigé une introduction intitulée « Un ricercatore libero e un po anarchico ».
De son côté, selon François Dosse, dans une note de lecture parue dans la Revue Historique (2022, 1, 701), Pages retrouvées « exhume de nouveau, avec cette nouvelle publication, le parcours et la richesse de cet historien hors-normes. [...] . L’ensemble donne une juste mesure de son apport décisif dans l’historiographie française. […] L’actualité de ses travaux, comme le souligne G. Gros, reste très grande aujourd’hui car l’histoire des émotions, des sensibilités très en vogue chez tous les disciples d’Alain Corbin, doit beaucoup à Ariès. »
Guillaume GROS
Responsable du site dédié à Philippe Ariès,
Chercheur associé FRAMESPA, Toulouse 2,
Pour citer cette Newsletter : « G. Gros, Newsletter, 13, "Philippe Ariès, du privé à l’intime", Site dédié à Philippe Ariès, http://philippe-aries.histoweb.net, 2022 ».