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Newsletter n°3, L’Histoire de la mort peut-elle aider à apprivoiser la mort ?

dimanche 24 février 2013, par Guillaume Gros

Site dédié à Philippe Ariès, Newsletter, n° 3, automne-hiver 2012-2013.

« L’histoire de la mort peut-elle aider à apprivoiser la mort ? »

Alors que le professeur Didier Sicard a rendu, en décembre 2012, à François Hollande un rapport sur la fin de vie qui va orienter le débat sur la question de l’euthanasie en attendant un projet de loi à venir cette année, l’œuvre de Philippe Ariès peut apporter des pistes de réflexion et nourrir le débat : aussi bien ses ouvrages d’historien sur la mort que les articles dans lesquels il réfléchit en sociologue sur la mort aujourd’hui. En outre, P. Ariès peut apporter un éclairage face à l’irruption de la mort dans notre quotidien avec l’émergence du coronavirus (COVID-19) en 2020.

Le livre méthodologique : Essais sur l’histoire de la mort en Occident.

 Publié en 1974, cet essai qui rassemble des études et des articles, est d’abord le produit d’un cheminement, 15 ans de recherches et de méditations sur les attitudes devant la mort dans les cultures chrétiennes occidentales. Impressionné par la fréquentation des cimetières des villes et des campagnes dans les années 1950-1960, Philippe Ariès cherche à savoir si cette piété a toujours existé. L’historien se lance alors dans une enquête foisonnante et complexe quand il doit définir les sources sur lesquelles il doit s’appuyer : « L’observateur passe en revue une masse hétéroclite (et non plus homogène) de documents, et il essaie de déchiffrer, au-delà de la volonté des écrivains ou des artistes, l’expression inconsciente d’une sensibilité collective. »

Le choix de la longue durée : L’homme devant la mort

 Après l’ouvrage méthodologique, qui connaît un succès de librairie important, au Seuil, l’historien finalise trois ans plus tard sa fresque intitulée L’Homme devant la mort. Choisissant le parti de la longue durée, Philippe Ariès traque les attitudes de l’homme devant la mort depuis le haut Moyen Age jusqu’à nos jours en Occident. L’historien souhaite établir la relation « entre l’attitude devant la mort et la conscience de soi, de son degré d’être, plus simplement de son individualité ».

L’album : les images de l’homme devant la mort

 Enfin, l’historien livre les soubassements de son œuvre avec Les Images de l’homme devant la mort comme l’écrit Michel Grodent : « Le voyage au cœur des cimetières, autrefois places bruyantes où les gens se rencontraient, aujourd’hui lieux de silence et de méditation, la promenade parmi les épitaphes, les figures de transis et de gisants, bref l’imagerie déployée par l’historien semble créer un nouvel espace de savoir […] » (Le Soir, 12 novembre 1983). Comme pour L’Homme devant la mort, P. Ariès est reçu à “Apostrophe” avec Jean Delumeau pour Le Péché et la peur, Anne Louvel avec La Mort et quelques avantages et Michel Vovelle auteur de La mort et l’Occident de 1300 à nos jours.

La mort de Philippe Ariès par Michel Vovelle

 Peu de temps après l’émouvant passage de Philippe Ariès à "Apostrophe", l’historien meurt le 8 février 1984. C’est Michel Vovelle, spécialiste de la Révolution française et de la mort, qui rédige la notice nécrologique dans Le Monde, sous le titre "Un découvreur solitaire". Livrant un portrait très personnel de Philippe Ariès, Michel Vovelle évoque aussi le souvenir d’un compagnonnage depuis 1969 quand l’histoire de la mort n’en était qu’à ses balbutiements.

Comment mourir ?

 Les recherches sur la mort aident-elles l’historien à mieux s’approprier sa propre mort ? A la question posée par la revue Quebec science, en 1978, Philippe Ariès répondait : « L’Histoire nous apprend à mieux nous comporter parce qu’elle nous donne le sens du relatif. Il me semble que la familiarité avec des attitudes différentes de celles que nous voyons autour de nous, attitudes qui avaient leur sagesse et leurs illusions comme celles d’aujourd’hui, nous enrichit énormément et nous donne une sorte de pouvoir que nous ignorons. Le fait même que nous ayons acquis une familiarité avec des attitudes existentielles profondes, qui n’existent plus aujourd’hui, nous les digérons, nous les assimilons : un jour, elles nous aideront peut-être. »

Les référents "intellectuels" de la loi Leonetti

 Alors qu’un projet de loi sur la fin de vie, piloté par le ministère de la Santé, doit être présenté au Parlement en juin prochain après le rapport du Pr Didier Sicard, ancien président du Comité consultatif national d’éthique (CCNE), il est intéressant de revenir à un précédent rapport, proche de ce thème, celui du député Jean Leonetti à l’origine d’une loi du même nom. A l’occasion d’une Journée d’études consacrée à Philippe Ariès à Toulouse en 2009, son neveu Jacques Ariès, médecin réanimateur et enseignant dans un diplôme universitaire de soins palliatifs, s’est attaché à relever les penseurs cités dans les débats de la mission du député Leonetti en 2003.

Varia : Philippe Ariès par Jean José Marchand.

 Si l’œuvre de P. Ariès est reconnue tardivement en France chez les historiens, au début des années soixante-dix, certains esprits indépendants et passionnés saisissent immédiatement l’originalité de sa démarche. Parmi eux, il faut citer Jean José Marchand (1920-2011), gaulliste engagé, lecteur infatigable, qui loue l’Histoire des populations françaises dès sa parution. Le créateur, à l’ORTF, de la série des « Archives du XXe siècle » croise Philippe Ariès à la Nation française. En 1977, il rédige dans la revue anticommuniste Contrepoint, l’un des premiers articles sur la totalité de l’œuvre de l’historien du dimanche, « Philippe Ariès et le sens des structures », qui est une analyse approfondie des thèmes de l’oeuvre de l’historien en relation avec l’histoire des idées.

Guillaume GROS

Responsable du site dédié à Philippe Ariès,

Chercheur associé FRAMESPA, Toulouse 2,

Pour citer cette Newsletter : "G. Gros, Newsletter, 3, Site dédié à Philippe Ariès, http://philippe-aries.histoweb.net, automne-hiver 2012-2013".