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Newsletter, n° 9, "Philippe Ariès et le Temps de l’histoire"

samedi 3 février 2018, par Guillaume Gros

Site dédié à Philippe Ariès, Newsletter, n° 9, 2018

"Philippe Ariès et Le Temps de l’histoire"

A la fois, essai d’épistémologie et d’égo-histoire, Le Temps de l’histoire a été publié en 1954 aux éditions du Rocher, la même année où Henri-Irénée Marrou publiait De la connaissance historique (Seuil). En effet, après la Seconde Guerre mondiale, Philippe Ariès éprouve le besoin d’expliquer son positionnement historiographique à partir d’une réflexion sur ses choix méthodologiques et politiques. Ce qui explique la composition de cet ouvrage insolite dont la rédaction des chapitres s’étale entre 1946 et 1951. A l’occasion de sa réédition, au Seuil, en 1984, Roger Chartier, écrit dans la préface, que "(...) Le Temps de l’histoire est sans doute le premier livre écrit par un historien n’appartenant pas à l’"école" où se manifeste une compréhension aussi aiguë de la rupture représentée par les Annales, l’œuvre de Bloch et celle de Febvre [... ]".

Marc Bloch (1886-1944) : un savant remarquable

Des pages du Temps de l’histoire, s’inspirent des comptes rendus alors rédigés par Philippe Ariès dans des revues non savantes à la fin des années 1940 et dans les années 1950. Elles constituent un véritable plaidoyer en faveur de Lucien Febvre et de Marc Bloch à l’instar de ce passage : "Marc Bloch est certainement l’un des plus grands historiens français. La guerre — il a été exécuté par les Allemands en 1944 — a interrompu son œuvre au moment où sa longue maturation devait lui permettre de développer des vues dont la hardiesse exigeait qu’il les fondât sur une érudition impressionnante. Mais telle qu’elle est, l’œuvre de Marc Bloch a exercé sur les historiens une influence déterminante. Il est, avec Lucien Febvre, à l’origine de ce rajeunissement d’une science qui se décomposait dans l’ennui."

Lucien Febvre (1878-1956) : une œuvre capitale

Auteur d’ouvrages sur l’histoire religieuse, Lucien Febvre s’est imposé comme l’un des représentants majeurs d’un courant historiographique en rupture avec l’histoire dite traditionnelle politique et diplomatique telle que pouvait l’incarner un Seignobos. Il cherche avec Marc Bloch à décloisonner les sciences sociales en accordant une place de choix à l’explication économique et sociale dans les Annales d’histoire économique et sociale. Pour Ariès, Lucien Febvre est l’auteur d’une œuvre capitale : "De ses livres et de ses articles aux Annales et à la Revue de Synthèse Historique, on tirerait facilement la matière d’un vigoureux essai sur la méthode historique, et aussi les premières bases d’une philosophie sur l’Histoire. A ce sujet son œuvre est capitale, et son importance doit être tout de suite soulignée".

Un compte rendu du Temps de l’histoire par Daniel Halévy

Avec Marc Bloch, Lucien Febvre, l’autre maître à penser de Philippe Ariès, dans les années 1940 est Daniel Halévy, auteur d’un essai sur l’accélération du temps de l’histoire. Il rédige alors, dans la revue J’ai lu, en mai 1954, un compte rendu très personnel intitulé "Les vicissitudes de l’histoire" de l’essai de P. Ariès : "Je ne crois pas fausser sa pensée en écrivant que, pour lui, l’Histoire telle que l’ont conçue nos pères, est un genre littéraire qui est périmé. On ne saurait être inattentif à la pensée de Philippe Ariès, qui a publié un des bons livres des dix dernières années : L’Histoire des Populations françaises et qui dirige à la maison Plon une collection de livres d’histoire à laquelle nous devons La Société Militaire de Raoul Girardet et Toulouse au XIXe siècle, de Jean Fourcassié, qui par leurs titres éclairent les intentions du directeur de la série, et par leur contenu montrent la différence qui existe entre l’Histoire telle que la comprenaient nos pères et l’Histoire telle que la comprennent les nouveaux historiens."

François Hartog : croire en l’histoire

Dans la continuité de Régimes d’historicité (Seuil, 2003), François Hartog prolonge la réflexion de Philippe Ariès sur Le Temps de l’Histoire (1954). Face à l’accélération de l’histoire, à l’instantanéité et le simultané du flux continu d’informations qui circulent notamment sur internet, « l’historien peut-il, lui aussi, “faire de l’histoire en direct”, toujours plus vite, et donner immédiatement le point de vue de la postérité en tweet ? ». Telle est l’une des questions qui parcourt l’essai de François Hartog intitulé Croire en l’histoire dans lequel, plus largement, l’auteur s’efforce d’analyser les conséquences des injonctions du présent dans le travail de l’historien aussi bien sur son statut que sur sa façon d’écrire l’histoire.

Varia

Philippe Ariès et l’Europe : un entretien dans Cadmos


 P. Ariès a fourni une seule contribution dans cette revue tournée vers les questions européennes (1978-1992). Il y exprime, selon les termes de son rédacteur en chef André Reszler, la dimension européenne du travail de l’historien dans le cadre d’une enquête menée sur l’Europe et les intellectuels par la revue Cadmos, (hiver 1980).
 Historien reconnu à partir des années 1970, Philippe Ariès a été toute sa vie, responsable d’un service de documentation spécialisé dans l’agriculture tropicale, une fonction où il s’est d’ailleurs révélé un pionnier dans les techniques d’indexation et qui l’a conduit à beaucoup voyager. Cette expérience conjuguée à celle de son métier d’historien alimente sa vision de l’Europe : "En fait je me sens assez européen, mais pas au sens restreint de la Communauté européenne, quoi que j’y aie travaillé, non pas comme historien, mais dans mon métier de la semaine qui était celui de spécialiste de l’information dans l’agriculture tropicale. J’ai participé à des travaux de commissions à Luxembourg, au siège de la Communauté, et j’ai été très heureux là. J’ai beaucoup apprécié mes collègues de la Communauté ; je ne suis pas du tout un Français nationaliste comme il y en avait beaucoup à l’époque – c’était le triomphe du gaullisme et tout ce qui touchait à la Communauté était suspect. Mais il n’empêche que je suis gêné dans la Communauté européenne telle qu’elle est, par son caractère trop strictement économique."

Sébastien Lapaque, "Philippe Ariès : un art de la mémoire"

Dans la Revue des deux Mondes de novembre 2017, Sébastien Lapaque, romancier, essayiste, consacre un article à Philippe Ariès dans lequel il montre la modernité de sa pensée dans l’analyse du sentiment familial et rappelle son influence majeure chez le sociologue et historien américain Richard Sennet dont il a d’ailleurs rédigé la postface de La Famille contre la ville, les classes moyennes de Chicago à l’ère industrielle (1872-1890) : "En 1970, le sociologue et historien américain Richard Sennett, que le public français ne découvrirait qu’une dizaine d’années plus tard, publiait aux Presses universitaires de Harvard sa thèse de doctorat soutenue avec succès l’année précédente : Families Against the City. Middle Class Homes of Industrial Chicago, 1872-1890 — la Famille contre la ville, les classes moyennes de Chicago à l’ère industrielle (1872-1890). Dans ce travail novateur, consacré aux interactions de la vie urbaine, de l’existence privée et du quotidien professionnel dans le quartier d’Union Park, le jeune chercheur, qui allait consacrer sa vie à scruter les métamorphoses de la réalité sociale moderne, mettait en avant les éléments générateurs de dislocation familiale, de troubles sociaux et émotionnels chez les « gens ordinaires » chers à son aîné Christopher Lasch."