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Michel Vovelle, P. Ariès et la mort

Philippe Ariès, un découvreur solitaire, Le Monde, 1984

dimanche 27 janvier 2013, par Guillaume Gros

 Historien du social, Michel Vovelle publie sa thèse en 1973, sous le titre Piété baroque et déchristianisation. Les attitudes devant la mort en Provence au XVIIIe siècle , chez Plon dans la collection "Civilisations et mentalités" alors dirigée par Robert Mandrou et Philippe Ariès. Tout en contribuant au renouvellement de l’historiographie de la période révolutionnaire, Michel Vovelle succède en 1983 à Albert Soboul à la tête de l’Institut d’histoire de la Révolution française. Déplaçant le curseur social vers le culturel et les mentalités [1], Michel Vovelle met à l’honneur l’iconographie comme source.

 Alors que les travaux de Philippe Ariès deviennent moins confidentiels à partir de la fin des années soixante, l’historien/éditeur commence à pénétrer leur sociabilité. Il est notamment invité par Pierre Guiral (qu’il fréquente dans le salon de D. Halévy) au séminaire que celui-ci anime à Aix où il côtoie également Michel Vovelle, Maurice Agulhon ou Paul Veyne. Ce climat stimulant accélère ses recherches sur la mort en gestation depuis plusieurs années.

La controverse sur la méthode

 Si les terrains défrichés par Michel Vovelle et Philippe Ariès sont proches, les deux historiens divergent sur la méthode. Partisan de l’histoire des sensibilités et de l’autonomie du culturel, Philippe Ariès revendique une démarche intuitive fondée sur un panel de sources hétéroclites [2] quand Michel Vovelle, chantre d’une histoire encore sociale privilégie des séries documentaires homogènes comme les testaments par exemple.

Le différend méthodologique n’empêche pas l’admiration réciproque et la complicité intellectuelle à l’image du dialogue des deux hommes, sur le plateau d’Apostrophes, en 1983, à l’occasion de la publication de La mort et l’occident, de 1300 à nos jours (Gallimard) et des Images de l’homme devant la mort (Seuil) comme les rapproche ci-dessus Michel Grodent dans l’article du Soir (Bruxelles) du 11 novembre 1983.

« La mort de Philippe Ariès. Un découvreur solitaire »

 Quelques mois plus tard, c’est Michel Vovelle qui rédige la notice nécrologique de Philippe Ariès dans le Monde , [11 février 1984] insistant, selon ses propres termes, sur le parcours de « l’une des personnalités les plus créatrices, les plus sensibles et jaillissantes que l’école historique ait connues en notre temps ». Sans masquer leurs divergences de méthodes, Michel Vovelle, préfère retenir que Philippe Ariès « a été à l’essentiel ».

Extraits de l’article de M. Vovelle

« J’ai rencontré Philippe Ariès voici quinze ans, en 1969, au temps où les historiens qui prospectaient alors isolément les territoires de la mort se découvraient l’un l’autre, avec la surprise souvent de se sentir plus proches qu’ils ne le croyaient ; je l’ai revu pour la dernière fois, voici quelques mois, à la veille de la Toussaint, lorsqu’il apparut, pathétique et héroïque témoin, pour présenter ses « Images de la mort », qu’il dédiait de toutes ses forces exténuées au souvenir de celles qu’il avait perdues. Entre-temps, d’une rencontre à l’autre, s’était tissée entre nous une étrange complicité. On nous faisait souvent dialoguer, lui le ciel, moi la terre, et nous plaisantions de nous entendre si bien entre le dit et le non-dit. Et je m’étonnais, alors qu’il eût été si facile de camper sur nos positions, d’apprendre et de découvrir toujours à son contact. » [...]

« Car c’est un inventeur que Philippe Ariès, auquel les historiens d’aujourd’hui sont redevables d’une étonnante moisson de nouveautés. »

« Il importe de reconnaître cette dette car ses découvertes, longuement mûries dans l’isolement d’une recherche solitaire, sont aujourd’hui si fortement établies et parfois banalisées qu’on risque d’oublier qu’Ariès fut méconnu, sinon jusqu’à hier, du moins jusqu’aux années 60 quand son ouvrage sur l’ Enfant et la vie familiale sous l’Ancien Régime l’imposèrent comme un interlocuteur majeur dans le domaine encore controversé de la nouvelle histoire des mentalités, en recherche de ses thèmes et de ses méthodes. » [...]

Un amoureux de la vie

[…] « Au fil d’une série d’approches successives, ce perfectionniste, toujours soucieux de remettre en ordre ou en cause ses certitudes, a développé une immense enquête qu’aucun historien « sérieux » n’eût osé entreprendre, s’inscrivant délibérément dans la très longue durée des évolutions pluriséculaires, du haut Moyen Age à nos jours, à l’échelle de l’Occident. Ambition indispensable pour saisir le secret de ces dérives lentes qui lui ont permis de proposer un modèle, de la mort « achronique », communautaire et apprivoisée des plus anciens temps, à cette prise de conscience tragique de la mort individuelle, « la mort de moi », qui prend naissance quelque part à l’apogée du Moyen Age, pour introduire à la modernité, de l’effusion « rousseauiste » ou romantique de la « mort de toi » – inoubliable objet aimé – et s’achever (mais est-ce bien une fin ?) sur le tabou des sociétés actuelles sur la mort. »

« Le “modèle” Ariès, comme tous les modèles, est fait pour être malmené, et je ne m’en suis pas privé... Il reste, par sa solidité, par le caractère révolutionnaire même du parti pris de méthode qui le sous-tend, la référence incontournable. Philippe Ariès a livré, quelques mois avant sa mort, dans son dernier livre Images de l’homme devant la mort , beaucoup plus qu’un commentaire iconographique à ses Essais sur l’histoire de la mort en Occident , un nouveau regard, plus troublant encore et comme une dernière invite à scruter les représentations du dernier passage. »
[…]


[1Cf. Idéologies et mentalités, La Découverte, 1985.

[2Cf. « Préface. Histoire d’un livre qui n’en finit pas », Essais sur l’histoire de la mort en occident, Seuil, 1975